Roubaix renoue avec le textile
Publié le 31 décembre 2020|
La Ville aux 1000 cheminées, empreinte de son passé textile, allie aujourd’hui richesse du patrimoine et innovations textiles. Pour (re)construire une filière plus durable, plus soucieuse des questions environnementales et plus performante, les acteurs de l’industrie textiles s’appuient sur leurs compétences historiques, sur les innovations technologiques et sur les techniques modernes.
Frédéric Minard
Adjoint au maire en charge du développement économique
Roubaix, le cœur qui bat du textile en France
Ville drapière depuis le Moyen Âge, Roubaix a connu à partir du 19e siècle 150 ans de formidable expansion grâce à l’industrie textile, qui en ont fait une capitale mondiale de cette industrie. Puis, à partir des années 60, la délocalisation progressive de l’industrie textile a très durement touché la ville et ses habitants, qui en portent encore les stigmates.
Pour autant, l’histoire de Roubaix avec le textile est loin d’être finie – le sera-t-elle jamais ?
La crise de la Covid-19 a crûment révélé les faiblesses du tissu économique français ; était-il possible qu’une des économies les plus développées du monde ne soit plus en mesure de produire les masques nécessaires à la protection de sa population ?
Roubaix elle-même avait presque oublié qu’elle était capable de produire, en quelques semaines, des millions de masques, en mobilisant ses habitants, ses ateliers, avec une incroyable ardeur et une passion renouvelée.
Aujourd’hui, c’est cette envie commune de remettre à l’honneur sa filière textile que la Ville de Roubaix a décidé de soutenir. Nulle part ailleurs en France on ne trouve une telle concentration d’instituts de formation, d’ateliers de fabrication et de confection, de grandes enseignes, de grossistes et de détaillants, de créateurs et de jeunes marques, mais aussi de marques centenaires, sans parler d’un musée de référence et de son incroyable tissuthèque!
Mais le textile de demain ne sera pas celui d’hier ; à Roubaix, on sait déjà qu’il devra être durable, qu’il intègrera le recyclage et la réutilisation, qu’il devra générer des emplois et être vecteur d’inclusion professionnelle, qu’il sera assurément aussi digital et en ligne. C’est ce textile que la ville va contribuer à promouvoir, en associant tous les acteurs de la filière.
Alors oui, le cœur du textile français bat toujours, et c’est à Roubaix qu’il bat plus fort qu’ailleurs.
Savoir et compétences
Les ateliers IMC à Roubaix depuis 1993
L’Entreprise Impact Mode Création est née en 1993 grâce à deux sœurs, Maria et Florinda Ferreira, licenciées des Etablissements Duhamel à leur fermeture. En 1993, elles fondent IMC à deux. Aujourd’hui, IMC est forte de quinze salariés.
Maria est partie à la retraite. Aujourd’hui, c’est la fille de Florinda, Laetitia, qui assure la cogérance de l’entreprise. Arrivée il y a dix ans, elle a été formée sur le tas à tous les métiers du textile. « Notre atelier a deux activités principales : le prototypage et le patronage pour de grandes centrales comme La Redoute ou Camaïeu d’une part et la confection de petites séries pour des créateurs Made in France d’autre part. » explique la jeune femme. La société a grandi doucement depuis sa création et emploie aujourd’hui quinze personnes. La moitié est là depuis le départ et a plus de 50 ans. L’autre moitié, « la relève », a entre 20 et 30 ans. Autant dire que chez IMC, l’esprit d’entreprise et même de famille est omniprésent. « Le textile c’est une activité en dents de scie car on travaille en flux tendus étant donné le prix des stocks. C’est donc primordial d’avoir une équipe soudée avec de vraies valeurs de transmission », précise Laetitia. Les salariés présents depuis le départ sont conscients de l’importance de la pérennisation d’un savoir-faire unique et ont à cœur d’apprendre certaines techniques à des jeunes désireux de s’investir durablement chez IMC. Pour à leur tour devenir des « anciens » un jour. Et ainsi, boucler la boucle.
IMC – 49, rue Jean-Lebas
Transmission
Résilience, l’entreprise qui (re)donne sa chance
Chez Résilience, on fabrique des masques mais pas que. Depuis la création de cet atelier textile pour subvenir au besoin massif de masques en France face à la pandémie, l’entreprise d’insertion s’est étoffée. Rencontre avec Marylène, 60 ans, et Chandy, 24 ans, pour qui la transmission n’est pas un vain mot.
Marylène
« Je travaillais dans l’animation mais des soucis de santé il y a trois ans m’ont contrainte à me reconvertir. Couturière à mes heures perdues et passionnée, je réalisais des vêtements pour enfants que j’offrais à mes amis, ainsi que des doudous et de la petite décoration. En mars dernier, j’ai su que le CHR de Lille recherchait des bénévoles pour confectionner des masques. Je me suis illico portée volontaire. J’ai dû en faire près de 1 000 ! En déposant mes derniers cartons au Souffle du Nord à Marcq j’apprends que Résilience cherchait à recruter. »
C’est ainsi que l’aventure a commencé pour Marylène. Chaque jour, elle est ravie de croiser des employés plus jeunes avec lesquels elle prend plaisir à échanger. Et ne rechigne jamais à donner un conseil à Chandy lorsqu’il la sollicite.
Chandy
« Je fais partie de l’association Anti-fashion. Après un bac pro, j’ai fait trois ans d’études dans le commerce. J’occupais auparavant un poste de chargé de clientèle dans un laboratoire de traitements de déchets radioactifs. Mais secrètement, j’avais envie de découvrir l’univers du textile, de la création. Chez Résilience, on nous donne l’opportunité de nous développer et d’apprendre.
Quand on est ici, on retrouve une ambiance familiale avec un vrai partage de savoir-faire. Tout le monde a sa chance quelles que soient les origines sociales et ethniques. À terme, j’aimerais travailler avec des professionnels dans le domaine de la mode et devenir manager artistique. »
Chandy cousait à la main avant d’intégrer Résilience. Aujourd’hui, il maîtrise l’utilisation des machines professionnelles : la piqueuse, la surjeteuse, l’ourleuse.
Résilience en chiffres
65 ateliers en France
800 personnes en CDIU
A Roubaix, 100 personnes en équivalents temps plein (ETP)
Résilience, c’est aussi
- La fabrication de bonnets pour Décathlon
- La fabrication de sacs pour Bash
- Des réparations pour Umbro
Le saviez-vous ?
Les ateliers Résilience à Roubaix ont été propulsés par Stéphanie Calvino, styliste et fondatrice de l’Anti-Fashion Project, également implanté à Roubaix. 100 m2 dédiés à la fabrication de masques dans lesquels 200 personnes en insertion y travaillent.
Seconde main
Vintage mais tendance
Joël Soglo a ouvert sa boutique de fripes en février dernier. Chez Casa Vintage, les jeunes étudiants se pressent pour y dénicher les perles rares du street wear.
« Les gens en ont marre de s’habiller comme tout le monde. La fast fashion a fait son temps. S’habiller vintage, en plus d’être tendance permet d’avoir du style et non d’être à la mode. Les prix sont attractifs, la qualité est vérifiée et ce sont des pièces uniques », explique le jeune entrepreneur roubaisien de 21 ans. Diplômé d’un BTS en techniques de commercialisation et deuxième lauréat du concours Invest Day, Joël a toujours été à l’affût de la fripe. « Quand j’étais enfant et ado, mes parents n’avaient pas les moyens de m’acheter des vêtements neufs. Pour me démarquer, j’ai donc commencé à arpenter les marchés aux puces. Quand mes copains me complimentaient pour mon style, j’étais très fier de leur annoncer le prix de mes vêtements. Sans jamais leur annoncer leur provenance », s’amuse-t-il aujourd’hui. Avec le temps, en plus d’être séduit par un style unique, sa conscience écologique a fait le reste et il a envie de participer à une économie qui propose une nouvelle façon de consommer. Et Roubaix, c’est the place to be pour ce genre d’initiative. Chaque mois, le jeune homme se fournit souvent à Marseille et revient avec des cartons remplis
de fringues vintage qui séduisent les 18-25 ans friands de vêtements hip-hop et sporstwear.
Bientôt un e-shop pour la Casa Vintage. En attendant, Joël poste ses dernières trouvailles sur La_casa_vintage59
Le saviez-vous ?
Roubaix accueille au sein de l’ancienne entreprise, Roussel FashionGreenHub, une association de chefs d’entreprises mode et textile, fondée en 2015. Forte de 200 membres, elle oeuvre pour une mode plus durable, éthique, locale et innovante.
Développement durable
Centre européen des textiles innovants : ne pas en perdre un fil
Implanté dans l’éco-quartier de l’Union depuis 2012, l’établissement unique en son genre est au service de l’industrie textile au sens large, et de son évolution.
D’abord spécialisé autour des technologies non tissées qui irriguent l’automobile ou encore la santé, ce centre de recherche a mis, ces dernières années, son expertise et son agilité au service de la confection et de son économie circulaire. En septembre 2019, sous l’impulsion de son directeur Pascal Denizart, l’établissement a inauguré un démonstrateur pilote permettant de « détricoter » mécaniquement les textiles en coton, polyester ou acrylique (vêtements usagés comme chutes de production).
Objectif ? Produire un fil qui contient au minimum 70% de fibres recyclées, et offre les mêmes propriétés qu’un fil vierge ! Ce projet, une première en Europe, a nécessité trois ans d’études pour un coût de 2 millions d’euros. Le CETI, qui a accompagné sur le sujet des enseignes comme Décathlon ou Okaïdi, met également en avant le cadre réglementaire de la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (loi AGEC) votée en février, pour sensibiliser les marques, cette loi imposant l’intégration d’un certain pourcentage de fibres
recyclées dans les collections. Aujourd’hui, le CETI souhaite aussi les amener à la digitalisation des process (l’industrie 4.0) et à la réalisation de prototypes virtuels désormais de très grande qualité.
Le saviez-vous ?
La Gentle Factory voit le jour au sein d’Happy Chic (Brice, Jules, Brizbee) en 2013, sous l’impulsion de Christèle Merter, ingénieure textile chargée de la qualité et du développement durable du groupe.
D’abord testée sous forme de label, la marque crée ensuite un premier prototype : un pull 100% recyclé. Implantée à Roubaix, elle contribue à créer une mode circulaire et écoresponsable.
Tissuthèque
Le coup de cœur de Sylvette Gaudichon
Sylvette Gaudichon a été parmi les premières à retrouver les tissus qui ont fait l’histoire de Roubaix. 40 000 pièces rassemblées dans le fonds de la tissuthèque du musée La Piscine. RBXXL lui a demandé d’en choisir un seul. Voilà l’histoire de « Mikado ».
Tout commence au Centre Art et Industrie à Tourcoing au début des années 90. Sylvette Gaudichon, attachée de conservation au musée La Piscine, part à la recherche de tissus anciens. Se préfigure alors la tissuthèque au sein de ce qui sera plus tard, le musée La Piscine.
« Cet échantillon est particulièrement remarquable à mon sens », note Sylvette Gaudichon, devant une pièce de tissu Jacquard dorée, parsemée de sapins verts, roses, jaunes et de soleils tout autant colorés.
Un véritable trésor qui figure parmi les premières découvertes de l’attachée de conservation. « Cette pièce, qui s’appelle « Mikado », fabriquée par l’entreprise Leborgne à Lannoy en 1890, est représentative d’une créativité. Actuellement, je ne suis pas sûre que l’on puisse fabriquer des tissus pareils. » Dans le Nord, à cette époque, on tisse plutôt de la laine ou du coton. Cet échantillon est fait à partir de fils de soie. Un produit particulièrement luxueux. « Comment fin 19e, on a pu tisser un échantillon pareil ? Les couleurs éclatent, les motifs sont très rares, c’est absolument improbable. » D’ailleurs, les motifs comme ceux-ci seront plus répandus dans les années 70. Le tissu est particulièrement avant-gardiste pour son époque.
Un mystère entoure encore cet échantillon : « on ne sait pas pour qui il a été fait. Était-ce pour une commande particulière ? Pour une exposition ? Pour l’époque, c’est très gonflé ».
Un financement participatif pour conserver un trésor
« Le musée a toujours fait du mécénat. Comme notre projet s’étale sur cinq ans, nous aimerions faire participer les visiteurs et habitués du musée, explique Dounia Merabet, en charge du mécénat au musée. Nous avons un fonds textile énorme. Entre les textiles plats, les échantillons, les pièces modes, cela représente plus de 40 000 pièces. » Un volume et des particularités qui demandent un travail de conservation et de restauration minutieux. « La campagne de financement participatif nous aidera à restaurer le fonds dans un premier temps. » Puis à plus long terme, de trouver plus d’espace pour le conserver. Et finalement, permettre son exposition au grand public.
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Sur Twitter
Le @MuseeLaPiscine de #Roubaix lance une campagne de financement participatif pour la restauration de la collection textile du musée du 15/12 au 31/01 en collaboration avec la plateforme @DartagnansFR ➡️ https://t.co/0R69rdTKJK 🧵 pic.twitter.com/V3ZqFK5vE0
— Ville de Roubaix (@roubaix) December 15, 2020