Notre Dame de Grâce
Publié le 1 novembre 2017|
Une modeste sculpture témoigne du « petit » patrimoine. Les collections d’objets d’art de la Ville de Roubaix sont importantes et bien inventoriées. Nous pensons bien sûr à celles de nos musées de la Piscine et de la Manufacture. Il convient de rappeler que la Ville possède également un ensemble d’objets d’art, protégés Monuments historiques, majoritairement conservé dans les églises.
Il existe enfin des cas isolés, témoins rares d’une histoire de la ville antérieure à la formidable révolution industrielle du milieu du 19e siècle. Celle-ci a provoqué un développement fulgurant de la cité en quelques décennies. Des milliers de bâtiments sont construits ou modifiés (courées, églises, maisons, immeubles, usines), d’autres sont démolis (fermes et habitat vieillissant).
Les objets anciens visibles librement à Roubaix se comptent pratiquement sur les doigts des deux mains : un clocher du 16e siècle, quelques maisons des 17e et 18e dans le centre ainsi qu’une poignée d’objets d’art présents dans l’église Saint-Martin. N’oublions pas le fonds ancien de la bibliothèque municipale, consultable uniquement sur demande et après autorisation. Enfin des objets bien plus modestes encore nous ont été également légués.
C’est le cas d’une petite statue religieuse provenant du quartier du Pile, logée tout au long du 20e siècle rue Monge. Il s’agit d’une Vierge à l’Enfant, baptisée Notre-Dame de Grâce et datant probablement du 18e siècle.
Ses origines sont associées à la famille Beaurepaire, dont le premier représentant connu était Gillebiers de Beaurepaire (cité dans un document daté de 1199), un homme de fief du seigneur de Roubaix. L’actuel boulevard de Beaurepaire, classé dans le domaine communal en 1889, tient donc son nom de ce fief du quartier du Pile, le Beau-repaire, beau refuge ou belle retraite. Le dernier exploitant de la propriété est le conseiller municipal et fermier Pierre Delannoy. Les Delannoy y sont installés depuis plus de cent ans.
Une dévotion miraculeuse
Une chapelle est érigée sur la propriété de la ferme à la fin du Ier Empire. Elle était dédiée à Notre-Dame de Grâce en vertu d’un vœu de Pierre-François Delannoy et de son épouse Félicité Déreumaux pour la guérison de leur fils né en 1807. Victime d’une infirmité frappant sa jambe droite, sans espoir de guérison médical, ses parents firent vœu d’édifier un oratoire en l’honneur de la Vierge si l’enfant venait à marcher. Le vœu se réalisa et la promesse fut tenue.
La chapelle devint ensuite le but des processions des Rogations qui se déroulaient durant les trois jours avant l’Ascension. Les Rogations (du latin rogatio, demande ou supplique) sont des prières publiques faites pour attirer la bénédiction divine sur les récoltes et sur les travaux des champs. Le cortège religieux partait de l’église Saint-Martin, seule paroisse de la ville jusqu’en 1846, et se rendait à la chapelle de la ferme Beaurepaire à environ 1,5 km.
La ferme disparaît dans les années 1890 et le chantier de la Condition publique commence sur la parcelle en 1900. Démolie également, la chapelle est reconstruite rue Monge avant 1905 dans le mur de la filature de coton Motte et Blanchot où se trouve l’actuelle société textile Achille Bayart & Cie. La Condition publique et l’usine, parfaitement alignées selon le plan d’urbanisme, reçoivent à leur jonction la nouvelle chapelle où est installée la statuette.
La chapelle se signale par un grand arc en tiers-point de trois mètres de portée de style gothique. Cet arc est réalisé en pierre de taille, le calcaire local de Tournai, matériau noble qui contraste avec le mur de briques dans lequel est encastré la chapelle. Depuis le 17e siècle, l’architecture gothique constitue une référence traditionnelle pour l’architecture religieuse et les exemples d’édifices religieux néo-gothiques ne manquent pas à Roubaix avec Saint-Martin en premier lieu ou Sainte-Elisabeth, édifiée à quelques encablures rue de Lannoy, en 1860.
Une porte métallique ajourée, permettant de voir l’intérieur et la statuette posée sur l’autel, ferme la chapelle. Une mince ouverture horizontale sur la gauche, rappelant une entrée de boîte aux lettres, permet au fidèle de déposer son offrande même si la porte est fermée. Elle arbore un traditionnel bleu marial depuis un « rafraîchissement » et un nettoyage général réalisé par l’association Chapelles & Co en mai 2017.
Un parcours sauvé
En 2000, la statue de Notre-Dame de Grâce est déposée dans les réserves du musée afin d’éviter une dégradation complète et de prévenir un éventuel vol, la chapelle ayant été vandalisée. En 2015, il est finalement décidé de procéder à une restauration de la statue. Ses dimensions sont réduites (hauteur 64,5 cm, largeur 21 cm, profondeur 13 cm) et sur le socle, on peut lire l’inscription peinte « NOTRE DAME DE GRACE PRIEZ POUR NOUS ».
Son état général semble alors assez mauvais, les couches de peintures successives se desquamant. Soumise à des variations météorologiques étendues pendant des décennies dans sa chapelle, l’objet de bois peint est défiguré. Paradoxalement la statue fut protégée par ces multiples repeints, modifiés selon le goût du moment ou pour maquiller une diminution de l’éclat de la couleur. Les vêtements ont reçu six interventions différentes. Les carnations (visages et mains) ont été moins repeintes, ce sont des zones plus petites dont l’état de conservation est souvent meilleur. La restauration de la statue a permis d’interrompre la dégradation des peintures, de rendre un état correct et de rétablir l’intégrité chromatique. C’est ainsi une couche de peinture intermédiaire, pas la plus ancienne, qui a été retenue : la Vierge est vêtue d’un robe blanche surmontée d’un grand manteau bleu ; l’enfant porte un vêtement blanc.
Pour des raisons de conservation et de sécurité, la statue a été installée dans l’église Sainte-Elisabeth qui se trouve à moins de 500 mètres de la chapelle. Notre-Dame de Grâce, très probablement plus ancienne que l’église, y est également le plus ancien objet visible, voire de tout le secteur. La statue a retrouvé un magnifique éclat et nous en profitons pour saluer le splendide travail de restauration effectué.
Témoin muet d’une histoire roubaisienne depuis au moins deux siècles, Notre-Dame de Grâce est désormais à nouveau visible de tous et dans des conditions d’exposition et de sécurité plus que favorables.
Il est possible d’accéder à l’église lors de l’office dominical de 9h30 à 10h30.
Liens utiles
www.bn-r.fr
histoirederoubaix.com
lavoixdunord.fr
Bibliographie
Théodore Leuridan, Histoire de Roubaix, 1862 ;
Société d’émulation de Roubaix, Les rues de Roubaix, 1998-2002.
Contributeur: François Vergin