Jacques Lenot, la vie d’un compositeur à Roubaix
Publié le 28 février 2024|
A l’occasion de la carte blanche qui lui est consacrée du 15 au 17 mars au Conservatoire de Roubaix, nous avons rencontré Jacques Lenot, un compositeur de musique contemporaine qui vit à Roubaix depuis plus de 20 ans.
Roubaixxl n’étant pas une revue spécialisée dans la musique classique, nous ressentions une légère appréhension avant notre rendez-vous… On ne rencontre pas tous les jours un compositeur contemporain mondialement connu, ayant remporté plusieurs prix prestigieux pour ces nombreuses œuvres, auteur d’une musique jugée « sérieuse » et « exigeante » !
Nous avons découvert un homme facétieux, intarissable au sujet de son enfance, de sa découverte de la musique, des rencontres de sa vie…
Né en 1945 en Charente-Maritime, Jacques Lenot a parcouru le monde. C’est en l’an 2000 qu’il pose ses valises à Roubaix, où il rejoint son frère. « Je ne me rends absolument pas compte que je vis ici depuis 23 ans, nous avoue-t-il. Je m’y sens comme en ermite. Ma maison est ma tanière, mon bunker. Je suis ici pour travailler ! ». Pas de loisirs ? Il confesse tout de même quelques promenades au parc Barbieux, des escapades vers la gare, et ses visites régulières chez ses commerçants voisins…
Jacques Lenot : « La sortie au cinéma était un rituel, jusqu’au COVID, tous les lundis. Je me souviens parfaitement des films, des réalisateurs, des acteurs. Pourtant je me suis un peu fâché avec la musique de films. J’étais très amateur de Nino Rota, d’Ennio Morricone, de Bernard Hermann, de Georges Delerue, de Vladimir Cosma. Mais la musique classique « de cinéma » a disparu. Le coût des orchestres a augmenté et on n’écrit plus vraiment de musique originale… Maurice Fleuret, directeur de la musique au Ministère de la Culture, m’avait proposé de travailler avec Alain Resnais. Nous sommes allé chez lui pour lui faire écouter ma musique… j’ai vu son visage se transformer… Il ne m’a pas retenu ! (rires). Le monde du cinéma est particulier… »
Roubaixxl : Le cinéma a-t-il été une source d’inspiration pour votre œuvre ?
« Il m’a offert quelques déclics. Les films ne me racontent pas forcément toujours grand-chose, mais j’entends parfois quelque chose d’extraordinaire. Satie m’intéresse peu musicalement, mais quand il est bien utilisé, comme c’est le cas dans « Le Feu Follet » de Louis Malle, c’est incroyable. « Ascenseur pour l’échafaud » est un autre exemple. Je l’ai vu à 18 ans, à l’école normale de La Rochelle. Avec des copains on se passait ensuite le disque en boucle… On s’est inondé de Miles Davis.
Au début des années 80, à Paris, je suis un jour attiré par l’affiche du film « Les demoiselles de Wilco » d’Andrzej Wajda. Pendant la séance je suis émerveillé par la musique de Karol Szymanowski, que je découvre alors. Je me renseigne et découvre qu’on ne joue jamais son œuvre en France. Je fais alors venir les partitions et, en 1981, salle Gaveau, j’organise un concert dédié entièrement à Szymanowski, avec notamment Sviatoslav Richter au piano. J’ai compté, nous étions 17 dans la salle (rires) »
« Mon travail est de l’ordre l’artisanat furieux, du mystique »
Vous continuez à vous inspirer d’œuvres d’autres artistes ?
« J’ai malheureusement trop de musiques dans la tête. Au cours des années j’ai acheté de nombreuses partitions, pour les lire, les déchiffrer, les retenir. J’en suis presque saturé. J’ai emmagasiné beaucoup de choses, la musique, la littérature, la peinture, le cinéma. Tout s’est coagulé. J’ai besoin de me réserver des moments sans aucun son.
Au quotidien, je ne supporte pas l’intrusion dans mon univers… le bavardage à la radio, par exemple. J’aime écrire dans le silence. Dans mon « bunker », on n’a pas le droit de me déranger. Un véritable moine copiste. Mon travail est de l’ordre l’artisanat furieux, du mystique.»
Quelle est votre méthode de travail ?
« Sylvano Bussotti, l’un de mes maitres m’a appris à travailler sur des papiers transparents, où l’on trace les portées, puis les notes. J’ai longtemps dessiné moi-même toutes mes partitions, en calligraphie, comme des tableaux. J’étais devenu plus dessinateur que musicien. C’est pourtant un travers à éviter, car il faut entendre la musique.
Depuis 2008, je travaille sur ordinateur. Avantage : on peut tout inventer et écouter. Inconvénient : il y a trop de possibilités. J’ai des milliers de fichiers produits… je ne sais pas m’arrêter. Je dois m’obliger à dormir. »
Vous vous astreignez à une discipline ?
« Je suis très discipliné. Je compose depuis 70 ans. Tous les jours, depuis mes 8 ans. Un jour je me suis cassé le bras droit… j’ai appris à écrire de la main gauche ! Ce n’est pas une obligation, c’est un besoin.
J’écris le matin, très tôt. Avant le jour. Très jeune, j’ai eu l’angoisse que le jour ne se lève pas. Je me lève alors avant le lever de soleil, pour le voir apparaitre. Puis j’écris de manière frénétique, dans un silence absolu, sans téléphone. Jusque midi pile. Pas midi cinq ! Je prends mon repas, une sieste de 30mn et je me remets à l’écriture, ou je lis.
Mes parents et grands-parents étaient horlogers. Ce métier a eu une influence indéniable sur moi. Les voir travailler minutieusement sur les montres et leurs mécaniques me fascinait. Mon père était assez austère, rigoureux, autant que ma mère était flamboyante. »
« Je ne suis pas musicien, j’ai toujours voulu être celui qui écrit la musique »
Ils vous ont transmis l’amour de la musique ?
« Allez savoir pourquoi, je sais lire la musique depuis l’âge de 5 ans, avant même de savoir lire les mots… Je commence le piano à 6 ans. Un beau jour je découvre les partitions de « Microcosmos » de Bartok, chez ma professeure de piano. Je lui demande : « Mais qui est ce monsieur Bartok ? ». Elle me répond « Tu sauras ça quand tu seras grand ! » Evidemment cela a excité ma curiosité ! J’ai décidé que j’étais grand tout de suite et que j’allais en faire autant !
Il y a avait un piano à la maison mais j’étais trop dissipé pour bien apprendre. J’ai rapidement compris que je ne serai pas pianiste, mais que j’allais boutiquer quelque chose avec la musique. J’ai commencé à écrire sur mes petits cahiers Canson, des portées et des notes. Je ne suis pas musicien, j’ai toujours voulu être celui qui écrit la musique. »
Votre premier métier est instituteur.
« C’était le souhait de mes parents. J’ai adoré ce métier. Reçu au concours en 1961. j’étais le seul à l’école normale à être intéressé par le cours de musique. La professeure m’a alors laissé utiliser le piano et m’a confié la clef de la bibliothèque musicale. Un cadeau magnifique ! Je m’y enfermais et j’y passais des nuits entières, où je composais, secrètement.
J’ai enseigné quelques années. A La Tremblade, dans mon pays natal, les enfants étaient fils d’ostréiculteurs. Ils étaient merveilleux. Ils sont tous sortis de mon cours de CE1 en connaissant leur solfège et en ayant écouté « Le Sacre du Printemps » de Stravinski. Apprendre la musique c’est pour moi essentiel. »
Vous êtes ensuite devenu un compositeur à succès, après le festival de Royan en 1967.
Oui, même si j’ai vite compris que la notoriété était fondée sur des bases futiles : un passage à la télévision et un article dans le Nouvel Obs’… N’étant pas du sérail, j’ai dû gérer et discipliner ce succès inattendu et les critiques qui l’ont accompagné. Je ne me suis jamais remis. J’ai dû démissionner de l’éducation nationale. Une nouvelle vie a commencé. »
En 1967, sa première œuvre achevée, Diaphanéïs, pour soixante parties réelles de cordes et percussions métalliques, a été exécutée au festival de Royan.
Jacques Lenot a bénéficié des conseils de Sylvano Bussotti, qui l’a présenté à Goffredo Petrassi et Franco Donatoni. Il a remporté la Fondation de la vocation en 1974 et a suivi les fameux cours de Donatoni à l’Accademia Chigiana à Sienne.
Jacques Lenot utilise des techniques compositionnelles dérivées du sérialisme. Il a toujours défendu son indépendance, se tenant à l’écart des circuits officiels de la musique contemporaine. Il a composé de nombreuses œuvres pour diverses formations, notamment pour orchestre, ensemble instrumental, voix, piano et musique de chambre.
Plus d'infos
Pour en savoir plus sur son œuvre, sur la carte blanche du 15 au 17 mars 2024 à Roubaix et réserver vos places pour les concerts, consultez son site internet : jacqueslenot.net
Vendredi 15 mars à 18H30, au Conservatoire de Roubaix (80 rue de Lille), projection du film documentaire consacré à Jacques Lenot (entrée libre)