Elle était encore dans son lit, en ce 1^er janvier, lorsque son téléphone a commencé à s’agiter : dans les pages du Journal officiel, on pouvait lire ce matin-là que « Mme Jéhanne, Annick, Liliane, Marie, présidente d’une coopérative de formation et de services pour les entreprises du secteur de la mode » est l’une des 3 884 récipiendaires de la Légion d’honneur. « J’étais surprise, tellement surprise. »

Cela fait tant d’années qu’elle se dévoue pour une mode qui ait des valeurs. « Et ça ne pouvait se faire qu’à Roubaix. » Annick Jéhanne a ses racines à l’autre bout de la France pourtant. « J’ai grandi dans l’Aveyron. Nous étions à la campagne, mes grands-parents étaient complètement autonomes. J’ai eu une enfance en pleine nature, loin de tout ce qui est artificiel. » Sa famille et elle emmènent ces valeurs à Paris, où son père poursuit sa carrière et où elle va entrer dans une école de commerce pour étudier le marketing international.

Aimer rendre « les gens beaux »

Elle en sort en 1984, avec un diplôme, un enfant et un emploi. Elle devient cheffe de produits pour Loréal. « Je m’occupais du maquillage et ça m’a tout de suite plu d’imaginer des produits qui rendent les gens beaux. » Elle ne fera plus que ça. « J’aime la création, voir émerger de nouvelles tendances, rencontrer les créateurs qui sont des passionnés mais aussi les gens pour qui on fait ce métier. » Elle quitte l’entreprise trois années plus tard pour partir à la découverte des grands magasins. Les Galeries Lafayette, puis le Printemps, et en janvier 2003, on lui propose de venir dans le quartier de l’Union diriger la centrale d’achats de Quelle. Elle a le coup de cœur pour Roubaix. « Il y a beaucoup d’artistes ici, une architecture extraordinaire et encore beaucoup d’acteurs du textile. » Elle reste trois ans, repart à Paris rejoindre Jacqueline Riu. Ses enfants, eux, se plaisent trop pour s’en aller.

Une mode responsable

Elle aime son travail mais pas complètement la manière dont il se pratique. « Dans les enseignes dans lesquelles j’étais, j’essayais par exemple de rapatrier les productions, mais ce n’était pas facile à l’époque. Je me suis dit que je pourrais davantage changer les choses de l’extérieur que de l’intérieur. » C’est une évidence pour elle : elle va revenir s’installer à Roubaix et d’ici, elle développera une mode plus responsable. Elle lance Hub Mode, un centre de formation qui accompagne aujourd’hui encore dans cette voie détaillants, fabricants, enseignes et marques. Et elle créé, dans la foulée, une association de chefs d’entreprises textiles, Nordcréa devenue depuis Fashion Green Hub, pour qu’ensemble, ils fassent avancer la mode et le textile vers davantage d’innovation et de durabilité, notamment grâce à une mutualisation des moyens et au travail collectif entreprises. Elle rassemble plus de 250 adhérents en ce début d’année, des jeunes créateurs aux organisations professionnelles. Et ça marche.

10 000 masques par semaine

C’est devenu apparent lors de la première vague de coronavirus, au printemps dernier. Il n’était plus possible de s’approvisionner en masques chirurgicaux, les membres de Fashion Green Hub ont proposé d’en confectionner en tissu. Dix mille par semaine, grâce à la coordination de quatre ateliers de Roubaix. Les bénévoles répondent à l’appel pour aider à leur envoi, la Ville de Roubaix leur en commande 120 000 pour les distribuer aux habitants.

« Je suis très fière et contente d’avoir reçu la Légion d’honneur, souligne Annick Jéhanne aujourd’hui installée à Lyon, mais je la prends comme une récompense collective. Nous avons eu beaucoup de bénévoles et quelques personnes un peu rémunérées dans ce projet et puis, il y a aussi eu toute cette énergie, l’agilité de l’association, sa réactivité, l’implication de chacun et un souci du bien commun qui nous ont permis de faire ces masques. »

Photo : Hernan Ameijeiras